Tout a recommencé il y a deux semaines devant une bière exotique au bar de la piscine du Mauritia, quand ma mère m’a annoncé son envie d’aller visiter les camps de Auschwitz en automne prochain. Cela remettait en cause son déni de mes envies d’y aller, de visiter également le camp des Milles près d’Aix-En-Provence. Depuis que je suis en âge de comprendre, mes parents, surtout mon père a toujours mis à ma portée toute la littérature et les films, les visites aussi pour alimenter ma culture générale… agrémentée bien sûr de ses propres récits de jeune résistant pendant la deuxième Guerre Mondiale. Pendant des années donc, j’ai pu profiter de cet héritage historique qui est devenu mien et dont j’étais fière et intéressée. En 1993, nous visitons l’Israel, rares sont mes souvenirs de la visite du Mémorial (ravivée l’année suivante par la sortie de La Liste de Schindler), en 95 les hasards de la vie me font rencontrer une Survivante de l’enfer puis en 96, le programme de terminale me fait passer un nouveau stade de maturité dans ma connaissance de l’Histoire de l'(in)humanité. En 1996, nous débarquons en Normandie pour visiter plages du débarquement et mémorial de la paix à Caen. La vidéo projetée qui commence avec les vocifération du moustachu le plus tristement connu au monde me donne la nausée, les cris et les claquements de bottes se répercutent en moi avec une violence inconnue. A la veille des vacances de Noël, on nous montre l’incontournable Nuit et Brouillard, et la même violence revient tant et si bien, que pour la première fois, je pense ressentir la même haine que mes aïeux ont du avoir à l’égard de l’Allemagne Nazie. Tant de conséquences des deux côtés de ma famille, tant de récits écrits ou oraux, mais jamais oubliés. Et puis, la Libération, la paix, la Vie… ma vie… une vie qu’on espère plus heureuse, sans occupation, ni bombe, ni privation. Je n’ai aucun doute que mes aïeux et mon père étaient des « gentils », ils avaient fait de leur mieux pour combattre le mal et protégés leurs aimés sans négociation.
Quand en 1999, mon histoire se précipite et que je fais la connaissance de Ethan, je choisis d’apprendre l’hébreu à l’université, pour mieux comprendre, pour être meilleure (?) que mes parents, car être aussi bonne n’est pas suffisant, il faut être la branche qui pousse vers le haut et non vers le bas, nous ne naissons pas pour être des saules pleureurs… Je passe un cap à 20 ans, puis un nouveau quand j’intègre l’entreprise multiculturelle de Mickey… Et quelques 8 ans plus tard, deux films sortent la même année sur un sujet que je n’ai pas encore touché : la rafle du Vel Div orchestrée par la préfecture de Paris et de Vichy… Le cycle se reforme et je commence à voir et lire tous ces autres documents, films et récits à trous de mon père qui n’habitait pas Paris en 42 et donc qui n’a su que bien plus tard. Un fait honteux de l’histoire de notre pays, perpétré par des Français à qui on avait donné le choix de laisser vivre ou mourir.
Au fil de rencontres, de lectures, j’assois un peu plus mon ambition de continuer la lignée, d’être meilleure et de puiser dans mes racines. Quelques fois, je sers les dents quand on insulte la mémoire des miens, et à chaque fois, je balance une réplique bien cognée qui laisse mon attaquant sans voix. Puis je suis là, à réserver un voyage pour maman dans ce camp de la mort. Je recommence mes recherches et de fil en aiguille, je regarde des documentaires inédits de la BBC, des films obscurs ou moins et mes rêves se remplissent à nouveau de ces scènes vivaces et douloureuses. J’ai décidé d’aller visiter (enfin) le Mémorial de la Shoah à Paris pour boucler cette nouvelle étape de mon voyage intérieur, ma thérapie privée qui me permettra de continuer mon chemin dans ce monde qui a tellement besoin de gentils.